Billet d’opinion par Martin-Pierre Nombré, directeur développement stratégique à la Caisse solidaire.
Le vent souffle fort, très fort
Hier, le vent soufflait fort. Des vagues se formaient sous son impulsion. Assis devant le lac, cela donnait l’impression que l’eau du lac coulait dans la direction du vent. Une illusion que je savais fausse puisque je le sais, l’eau du lac coule en réalité en sens contraire. C’est ce que nous semblons percevoir aujourd’hui à propos de la lutte aux changements climatiques.
En effet, depuis le retour de l’administration républicaine aux États-Unis, plusieurs de ses actions ont eu un impact sur les politiques climatiques. D’abord nous avons assisté à une négation des changements climatiques. Cette négation a entraîné plusieurs mesures dont voici les plus importantes :
- Le retrait de l’Accord de Paris le 20 janvier 2025
- Les mesures pour relancer la production nationale d’énergie fossile
- La remise en cause de règles mises en place sous les administrations précédentes notamment concernant la pollution de l’air
- Les émissions des centrales électriques
- Les normes pour les véhicules
- La suppression de certaines protections pour les espèces menacées ou les modifications de lois environnementales pour rendre plus faciles les activités industrielles/extractives
- Aussi, le 8 avril 2025, quatre décrets ont été signés pour stimuler l’industrie du charbon, sans compter la suspension ou la réduction des financements pour les énergies vertes, l’annulation des subventions ou des fonds destinés aux projets d’énergie propre (éolien, solaire, batteries, véhicules électriques), etc.
Chez nous, le gouvernement Carney n’est pas en reste. Il a procédé à la suppression de la taxe sur le carbone pour les consommateurs le 14 mars 2025 ce qui signifie que la surtaxe sur les carburants payée par les ménages pour « pollution carbone » ne s’applique plus depuis le 1ᵉʳ avril 2025.
Le gouvernement Carney a aussi assoupli certaines normes réglementaires par exemple : le gouvernement supprime l’exigence de l’« Electric Véhicule Availability Standard (EVAS) » pour l’année 2026, cela signifie qu’il y aura moins de pression réglementaire pour que des véhicules neufs vendus en 2026 soient à émissions zéro. Dernièrement, la relance du pipeline Keystone XL est revenue nous hanter.
Au Québec, le Projet de loi 81 modifie plusieurs dispositions législatives en matière d’environnement, ce qui aura comme conséquence d’affaiblir certaines dispositions dans les évaluations environnementales. Et, comme le gouvernement fédéral, Québec assouplit l’interdiction de vendre des véhicules à essence neufs en 2035. Aussi, les efforts seront désormais sur l’adaptation aux changements climatiques, « exit la lutte ». Le ministère chargé de l’environnement, de la lutte aux changements climatiques, de la faune et des parcs vient de couper 134 postes de fonctionnaires, et du même souffle, la province cesse sa collecte de données sur certaines espèces animales.
Ça continue…
L’Organisation des Nations unies nous apprend que nous n’avons jamais émis autant de CO2 depuis 1957, année de la première mesure. Pourtant sous pression, l’Alliance bancaire Net‑Zéro, soutenue par l’ONU a cessé ses activités le 3 octobre 2025. L’Alliance avait pourtant permis :
- De poser des repères communs pour les banques du monde entier : fixer des objectifs de réduction des émissions financées, aligner les portefeuilles sur un chemin « net zéro » pour 2050, avec des jalons intermédiaires (par exemple 2030) pour les secteurs très émetteurs.
- D’être un acteur de mobilisation importante. Au plus fort de ses activités, l’Alliance comptait plus de 100 banques membres dans de nombreux pays, gérant un montant très significatif d’actifs financiers.
- De développer des outils, des lignes directrices pour aider les banques à définir des cibles crédibles de décarbonisation, à mesurer les émissions financées, etc.
- De contribuer à sensibiliser les décideurs, les régulateurs et l’opinion publique sur le rôle des banques dans le changement climatique.
L’eau coule pourtant en sens inverse
Malgré ces reculs et face aux effets des changements climatiques qui s’intensifient, sur quoi peut-on se fonder pour garder espoir?
La prise de conscience mondiale est sans précédent. Jamais autant de citoyens, de scientifiques, d’entreprises et de gouvernements n’ont parlé du climat avec autant d’urgence. Les mouvements sociaux ont contribué à faire du climat une priorité publique. Et on le voit, les jeunes générations sont massivement sensibilisées aux enjeux écologiques. De plus en plus de décisions politiques et économiques prennent désormais en compte le climat, même si c’est encore insuffisant.
Contrairement à d’autres crises, celle du climat n’est pas un mystère scientifique. On sait ce qu’il faut faire : réduire les émissions, restaurer les écosystèmes, transformer nos systèmes économiques.
Les technologies propres deviennent plus compétitives. Le coût des énergies renouvelables (solaire, éolien) a chuté drastiquement en 10 ans. Dans de nombreuses régions, elles sont maintenant moins chères que les énergies fossiles. Des progrès majeurs sont réalisés en matière de batteries, d’efficacité énergétique, d’hydrogène vert, de construction durable, etc. Aussi, les recherches scientifiques s’accélèrent. L’intelligence artificielle permet aujourd’hui de systématiser nos connaissances. Son évolution rapide permettra de proposer des solutions.
Des villes, des régions et des entreprises passent à l’action notamment avec des politiques climatiques ambitieuses (zones à faibles émissions, verdissement, transports durables). Des entreprises majeures investissent massivement dans la transition, car elles y voient aussi une opportunité économique.
La Chine, et pourtant…
Malgré sa grande dépendance au charbon et une réduction modeste de ses émissions (7‑10 % d’ici 2035), la Chine joue un rôle de plus en plus actif dans les combats contre les changements climatiques, à la fois sur le plan domestique et sur la scène internationale. Il est à noter :
- Son engagement à atteindre le pic de ses émissions de CO₂ d’ici 2030, puis à décliner, pour parvenir à la neutralité carbone d’ici 2060.
- Sa visée, juste pour 2025, est de faire passer de 29% la part des énergies non-fossiles dans sa consommation énergétique à 39%.
- Sa volonté de toucher tous les grands secteurs (industrie, transport, construction).
- Elle prévoit également de multiplier par six ses capacités installées de solaire et d’éolien par rapport à 2020 dans les dix prochaines années.
Aussi, la Chine contrôle sa consommation d’énergie, et cherche à baisser son intensité carbone par unité de PIB. Elle installe énormément de capacité solaire et éolienne, pour répondre à la demande énergétique croissante tout en réduisant la dépendance au charbon. Depuis plusieurs années, la Chine fournit et mobilise des fonds pour aider d’autres pays en développement dans leur réponse au changement climatique, par exemple, de 2016 à 2023, elle a déclaré avoir fourni et mobilisé environ 177 milliards de yuans soit l’équivalent de 24,5 milliards USD, de fonds de projet pour soutenir des initiatives climatiques dans d’autres pays.
Le pays mène des campagnes de “verdissement” (plantations, restauration des forêts et des zones humides, etc.) pour augmenter les puits de carbone. Par exemple, la Grande Ceinture Verte autour du désert de Taklamakan, etc.
Toujours en Asie…
Dans son dernier livre, Here Comes the Sun: A Last Chance for the Climate and a Fresh Chance for Civilization, Bill McKibben (2025) parle d’un pivot dans la lutte aux changements climatiques. Il nous apprend par exemple qu’au Pakistan, les citoyens ont installé tellement de panneaux solaires que cela « équivalait à la moitié du réseau électrique national » en une période relativement courte. Il ajoute que des agriculteurs ont commencé à remplacer le diesel utilisé pour alimenter leurs pompes d’irrigation par du solaire, ce qui a entraîné une baisse de la consommation de diesel d’environ 35 % en une année dans certaines zones.
Selon l’auteur, cela montre que dans les pays du Sud ou en développement, le solaire est non seulement technologiquement possible, mais déjà en train de se déployer de manière rapide et à grande échelle. Cela change la dynamique énergétique mondiale.
L’Europe…
L’Europe quant à elle, peut s’appuyer sur plusieurs forces importantes pour faire face aux défis du changement climatique. Des forces qui sont à la fois économiques, institutionnelles, technologiques et sociétales. Avec Le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal), L’Union européenne s’est fixé l’objectif ambitieux de devenir le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050. L’Europe a mis en place des cadres législatifs contraignants, on peut penser à la Loi européenne sur le climat, les objectifs de réduction des émissions (-55 % d’ici 2030), les politiques de taxe carbone et le système d’échange de quotas d’émission (ETS); tous des leviers puissants.
L’Union se dote également d’une forte capacité d’innovation dans les énergies renouvelables (éolien, solaire, hydrogène vert), la mobilité durable (véhicules électriques, transports publics), les bâtiments à haute efficacité énergétique. Avec Horizon Europe, elle met en place des Programmes de recherche pour soutenir les technologies vertes.
Ces forces ne garantissent pas le succès, mais elles placent l’Europe dans une position favorable pour relever le défi du changement climatique à condition d’une mise en œuvre cohérente et accélérée. Aussi, n’oublions pas, comme le disait Jean-Marc Jancovici : « Les pays de l’Europe comme la France, ont une compétence historique sur l’optimisation sous contrainte ». L’Europe, importe aujourd’hui 97% de son pétrole et 90% de son gaz, et les deux sont en déclin (et ça va continuer). La décarbonation semble être sa seule opportunité.
En Afrique….
Alors que le continent africain fait face à des défis croissants en matière d’accès à l’électricité et de changement climatique, plusieurs pays se démarquent comme pionniers dans les énergies renouvelables. Grâce à des ressources naturelles abondantes et à des stratégies nationales ambitieuses, cinq nations tracent la voie vers un avenir énergétique plus propre :
- Pensons au Maroc, il est l’un des leaders incontestés grâce à des projets d’envergure tels que le Complexe solaire Noor à Ouarzazate, l’un des plus grands au monde, et le parc éolien de Tarfaya, qui exploite pleinement les vents de l’Atlantique. Le royaume vise 52 % de son mix électrique issu des renouvelables d’ici 2030.
- Le Kenya tire profit de la géothermie dans la vallée du Rift, avec des centrales comme Olkaria, et mise aussi sur l’éolien avec le Lake Turkana Wind Power Project, le plus grand parc éolien d’Afrique. Le pays couvre déjà plus de 75 % de ses besoins en électricité avec des sources renouvelables.
- L’Éthiopie s’appuie principalement sur l’hydroélectricité, avec des projets majeurs comme le Grand Barrage de la Renaissance (GERD) sur le Nil Bleu. Elle complète ce mix avec du solaire et de l’éolien, et produit une électricité quasi totalement décarbonée.
- L’Égypte se positionne comme un acteur majeur grâce au Benban Solar Park, l’un des plus vastes d’Afrique, et à des projets éoliens sur la mer Rouge. Elle investit aussi dans l’hydrogène vert, avec l’ambition de devenir un hub énergétique régional.
- Enfin l’Afrique du Sud, malgré sa forte dépendance au charbon, l’Afrique du Sud accélère sa transition avec le programme REIPPPP, qui a attiré des investissements massifs dans le solaire et l’éolien. Le pays explore aussi l’option de l’hydrogène vert dans le Northern Cape.
Ces pays démontrent que l’Afrique a non seulement le potentiel, mais aussi la volonté de devenir un acteur clé de la transition énergétique mondiale. Les défis restent encore le financement d’infrastructure et l’accès équitable à l’énergie.
Des petites actions qui renforcent le courant
Face au défi de notre siècle, je pense qu’il faut choisir de croire que l’action a encore un sens. Que le basculement est possible. Que chaque fraction de degré évitée compte. Voilà pourquoi la Caisse d’économie solidaire continue son bonhomme de chemin.
En 2017, la Caisse a proposé des actions pour le retrait des énergies fossiles en mettant de l’avant le REER sans pétrolière. La COP28 de Dubaï, en décembre 2023 a abouti à un accord qualifié d’historique et marquait une première reconnaissance de la nécessité de transitionner hors des énergies fossiles. Cela aurait pris six ans depuis les premières actions de la Caisse.
Cette fois-ci, la Caisse initie la démarche : Où va votre argent?
Afin de favoriser une finance saine et responsable, la Caisse poursuit une démarche de reddition de compte axée sur la transparence [1]. Dans ce cadre, elle publie un bulletin, publié deux fois par an (janvier et septembre) et un rapport d’activités, avec pour objectif de répondre aux préoccupations de ses membres et surtout leur montrer dans quoi est investi leur argent : dans le bien commun.
C’est un enjeu crucial, surtout face aux urgences climatiques, sociales et éthiques.
Une transparence des activités de financement des institutions financières pourrait répondre à plusieurs besoins fondamentaux, notamment :
- Permettre de savoir ce que finance notre argent, par exemple : est-ce que ma banque finance des projets d’énergies fossiles, ou des énergies renouvelables ?
- Cela permettrait aux citoyens de faire des choix éclairés, en accord avec leurs valeurs (écologie, droits humains, etc.).
- Cela renforce le pouvoir des consommateurs (via des comparateurs de banques éthiques, etc.).
- Accroître la pression sur les banques pour qu’elles adoptent des pratiques plus responsables.
- Renforcer la confiance dans le système financier, la finance souffre souvent d’un déficit de confiance (perçue comme opaque, intéressée, voire complice de crises).
Notre conviction se base aussi sur le fait que la transparence peut contribuer à une meilleure gouvernance, à la lutte contre la corruption, l’évasion fiscale ou le blanchiment d’argent. Cela peut améliorer la réputation des banques engagées dans la finance durable.
En dernier ressort, la transparence peut également réorienter les flux financiers vers des projets durables. On dit souvent : « Il n’y aura pas de transition écologique sans transition financière ». Une telle transparence permet de suivre les engagements climatiques des banques (ex. : sortie du charbon, neutralité carbone en 2050, financement des énergies renouvelables).
Comme moi, êtes-vous animé d’une dose d’espoir? Partagez-le, nous en avons besoin.
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[1] Un sondage Léger, Caisse d’économie solidaire, « Étude de perception sur les Québécois et leur argent en banque », nous apprend que les personnes qui font affaire avec les banques souhaitent recevoir de l’information sur : la proportion des fonds investis au Québec et dans l’économie locale (44%), un aperçu des principaux secteurs où l’institution investit (42%) et les rendements générés par les investissements réalisés avec l’argent des déposants (40%).
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Sources
Plusieurs sources consultées, notamment :
-Des journaux : L’Agence Reuters, TIME, The Washington Post, Associated Press, The Guardian, The Washington Post, Climate News, EconoTimes, BNN Bloomberg, CityNews Winnipeg, National Observer, Le Devoir, La Tribune, Le Nouvelliste, Chinadaily.com.cn, Al Jazeera, Financial Times, radio Canada, émission Feu vert, TV5 Afrique.
-Des Centres de recherches: Center For Global Development, Institute for Governance and sustainable développement (igsd.org), Le Centre québécois du droit de l’environnement, American Physical Society/aps.org, Environmental and Energy Brief
-De l’information gouvernementale : Conseil d’État de la Chine, Gouvernement du Canada, Gouvernement du Québec.
-Un sondage : Léger, Caisse d’économie solidaire (2025), Étude de perception sur les Québécois et leur argent en banque.
-Livre : Here Comes the Sun: A Last Chance for the Climate and a Fresh Chance for Civilization, Bill McKibben (2025)